Frédéric Mistral et les Alpes
Les Alpes dans ses écrits
C'est en 1859 que Frédéric Mistral publie Mirèio. Ce poème épique est un drame d'amour. Au-delà de cette trame, c'est la vie rurale provençale qui est évoquée dans les fresques peintes par Mistral. Ce faisant, le poète fait chanter son pays et ses coutumes. Il n'y oublie pas les Gavots.
Avec cette uvre composée à 29 ans, Mistral offre au provençal une reconnaissance internationale.
Mirèio
(chant quatrième)Mai quand la caud pièi s'apasimo,
E que la nèu sus li grand cimo
Adeja revouluno i terraire gavot,
De l'inmènso plano Cravenco
Pèr destepa l'erbo ivernenco,
Dis àuti coumbo Dóufinenco
Falié vèire descèndre auquéu riche escabot !
Mais lorsque ensuite la chaleur s'apaise, / et que la neige sur les cimes / déjà tourbillonne aux pays montagnards, / de l'immense plaine de Crau pour brouter l'herbe hivernale, / il fallait voir, des hautes vallées dauphinoises, / descendre ce riche troupeau !
La Rèino Jano
(acte I, scène I)La Prouvènço, Madamo, aquelo perlo vostro,
Dóu mounde es l'abréujat, lou mirau e la mosto.
Despièi l'urouso Niço ountre l'arange crèis,
Despièi lis Isclo d'Or ounte jogo lou pèis,
Jusqu'au bàrri neven que Briançoun aubouro,
A tóuti li belesso e tóuti li tempouro.
La Provence, Madame, cette perle royale,
est l'abrégé, la montre et le miroir du monde.
Depuis l'heureuse Nice où croît l'orange,
depuis les Îles d'Or où le poisson se joue,
jusqu'au rempart de neige que Briançon élève,
elle a tous les climats et toutes les beautés.
Sa correspondance avec les auteurs gavots
Frédéric Mistral entretiendra une correspondance soutenue avec labbé Pascal, fondateur de lEscolo de la Mountagno, et Léon de Berluc-Pérussis, à Forcalquier. Ses échanges épistolaires avec labbé Pascal montrent quil y puise des mots et expressions pour réaliser son dictionnaire monumental, Lou Tresor dóu Felibrige.
Curé dans la vallée du Champsaur,
labbé François Pascal est amené à employer le provençal alpin pour les pastorales qui sont jouées dans léglise. A Gap, il écrira des fatorgues anonymes. Elles seront réunies dans un recueil, Una nia dóu païs (" une nichée du pays "), en 1879. Il l'adresse à Mistral, qui lui répond par une lettre enthousiaste : " Cest vigoureux et gai comme le sang gaulois, comme le bacubert de vos Alpes ; vous connaissez bien votre langue, vous en savez le génie et les tournures propres, vous avez lallégresse et lentrain du vrai poète. Je suis heureux de vous le dire franchement : vous serez le félibre de votre pays ".En 1910,
Auguste Thouard, avoué à Embrun, publie Quand me bressavoun (Quand on me berçait), ouvrage dans lequel il a réuni des contes, des dictons, des proverbes et de vieilles chansons. Mistral len félicite : " Je me suis délecté en lisant Quand me bressavoun, qui est un précieux document pour le dialecte dEmbrun qui y est employé dans sa véritable vie et son pur naturel. Vous êtes un félibre de la meilleure sorte, et je vous fais compliment pour votre habile aisance à écrire le parler dEmbrun suivant lusage félibréen et la bonne tradition. "1886 : la Santo Estello à Gap
A force d'opiniâtreté, l'abbé Pascal finit par obtenir de Mistral qu'il organise la Santo Estello, le congrès annuel du Félibrige, à Gap, en 1886. Dans une lettre du 28 mars 1886, le poète de Maillane le lui annonce ainsi : " Es tout vist que li sèt rai de Santo Estello trantaion aquest an devers lauto Durènço, e dabord que vous languissès de vèire lou Capoulié, eh bèn, mis ami de Diéu, anaren à Gap " (" Il est clair que les sept rayons de la Sainte Estelle balancent cette année vers la Haute Durance, et puisque vous languissez de voir le Capoulier, eh bien ! mes amis de Dieu, nous irons à Gap ").
Le 23 mai 1886, Mistral est à Gap, accompagné de Roumanille et de Paul Arène, et prononce un discours sur lexode rural (
" La despoupulacioun di campagno "). " On se plaint, aujourdhui, que la campagne soit abandonnée, que les villages se dépeuplent La population sen va, la jeunesse descend vers la pourriture des villes. Sevrée de sa langue et de la poésie quelle dégageait et de cette langueur qui accompagnait ceux de chez vous quittant le pays, que voulez-vous qui la retienne dans ces pauvres villages où meurent les chats ? (...) Maintenant que le peuple est devenu le maître, aurait-il la faiblesse de rougir de sa mère, de renier la langue qui lui fait sa noblesse, qui porte le blason de son passé, de son histoire ? Non, ce nest pas possible ", s'exclame Mistral. " Quand Mireille parut, il y a déjà bien longtemps, en voyant la belle tournure et la vigueur de notre parler, notre grand et bon maître Lamartine dit : " Cest le peuple qui doit sauver le peuple ". Dans ce cri, Messieurs, il y a tout le Félibrige! "L'hommage des Alpins
A la disparition de Frédéric Mistral, c'est un hommage ému qui lui est rendu par François Pascal. Celui-ci lui écrit une vibrante Coumplancho (complainte), dont voici quelques vers :
Es mouort, es mouort lou grand Felibre,
Lou catoulique, l'ome libre,
Aquèu que semblavo imourtau ;
Es mouort noste reviscouraire,
L'àvi, lou Mèstre, l'Emperaire,
Pèr tout dire : nostre Mistrau.
Il est mort, mort le grand Félibre / Le catholique, l'homme libre, / Celui qui nous semblait immortel ; / Il est mort notre rénovateur / L'aïeul, le Maître, le roi, / Notre Mistral enfin.
Seize ans après, c'est le félibre du Champsaur, David Meyer, qui honorera le maître de Maillane dans un poème intitulé "Din les Iscles", où il n'ose faire la cour à la langue provençale.
E sièu tourna, mino pietouso
Simplament demandar pardoun...
En culint la flour merveillouso
Ai coumprès, din soun abandoun,
Que pre vantar ce que l'on amo
Pai besoun d'esse bèu parlur :
Suffis d'aver de blu din l'amo,
E de fé, d'espèr plèn lou cur.
Alors dóu parfum de ma Mìo,
De moun amour pre lou Chansau,
Ai oufert l'humblo pouésio
A la bello amo de Mistrau.
Et je suis revenu, mine pitoyable / Simplement demander pardon. En cueillant la fleur merveilleuse / J'ai compris dans son abandon / Que pour vanter ce que l'on aime / Pas besoin d'être beau parleru. / Il suffit d'avoir du bleu dans l'âme / Et de la foi, de l'espoir plein le cur. / Alors du parfum de ma mie / De mon amour pour le Champsaur, / J'ai offert l'humble poésie / A la belle âme de Mistral.
Sa filiation en pays gavot
Après la disparition de Frédéric Mistral, son héritage se perpétuera en pays gavot. Outre l'abbé Pascal et Auguste Thouard, labbé Guillaume, Edmond Hugues ou David Martin poursuivent laction mistralienne.
A partir de 1923 apparaît aussi le nom de
David Meyer, paysan de la vallée du Champsaur, qui compose des fatorgues et des pièces en provençal alpin. Citons également Germaine Waton de Ferry, à Barcelonnette, qui publiera plusieurs uvres de 1941 à 1954, ou Jean-Rémy Fortoul.En 1956, Gap accueille pour la deuxième fois la Santo Estello. Frédéric Mistral neveu y cède son siège de capoulié à Charles Rostaing, et le Gavot
Paul Pons devient majoral. Ce dernier présidera même le Félibrige de 1989 à 1992.Aujourdhui, les nombreux groupes qui se sont constitués dans les Alpes provençales perpétuent la langue locale en se situant dans l'héritage du poète provençal.
Un trimestriel bilingue,
Lou Semenaire, a été créé en 1985 et plusieurs ouvrages consacrés aux variétés provençales de lEmbrunais et de la Vallouise ont été publiés. Un projet de CD-Rom pédagogique est à l'étude.En évoquant les liens entre Mistral et les Alpes provençales, et son héritage actuel, cette exposition souligne que le poète de Maillane a restitué à la langue provençale - dans la diversité de ses variétés car il nen négligeait aucune - sa dignité de lépoque des troubadours.
Il a également fait éclore la conscience chez les Provençaux et les Gavots que leur langue ne doit pas mourir car elle est lélément majeur de leur identité culturelle.
Discours de Frédéric Mistral à Gap (1886)
Païs Gavouot - chemin des Gourlanches - 05000 Gap - tél. : 04 92 52 33 73