Discours de Frédéric Mistral à Gap (1886)

 

"La despoupulacioun di campagno"

 

Le 23 mai 1886, Frédéric Mistral est à Gap pour présider la Santo Estello, le congrès annuel du Félibrige. Dans son discours, il évoque déjà l'exode rural, et en tire argument pour faire valoir l'attachement au pays et à la langue.

"Ah! se sabien lou mau que se fai à la patrìo, que se fai à la raço, en derrabant au pople, à l’ome de la terro, lou liame que l’estaco à sa vièio famiho, à si bòni coustumo, au païs ounte es na!

Se plagnon, au-jour-d’uei, que la campagno s’abandoune, que li vilage se despoplon… E vous-àutri, Messiés, dins aquésti mountagno escalabrouso e fèro, ounte pamens la Franço es urouso de vèire, à l’ouro dóu dangié, de valènts abitant pèr garda sa frountiero, poudès n’en saupre quaucarèn.

La poupulacioun s’en vai, la jouinesso davalo vers lou pourridié di vilo. Desmamado de sa lengo e de la pouësìo que la lengo escampavo, e d’aquéu languitòri qu’acoumpagnavo aquéli que quitavon lou païs, que voulès que la retèngue dins si pàuri vilage, ounte li cat ié moron ?

Nòsti paire disien:

A chasque aucèu

Soun nis es bèu;

e rèn qu’aquéu prouvèrbi, aquéu pichot prouvèrbi, gardavo dins lou nis li poupulacioun countènto. I’a proun de quàuquis aubre, i’a proun de quàuqui tousco d’argelas e de bouis, pèr reteni la ribo d’uno aigo manjarello. E se li derrabas, aquélis aubre, aquéli tousco, au proumier endoulible que toumbo d’amoundaut, la ribo es derrunado, la pradello s’afoundro, la graisso de la terro es empourtado à la Durènço.

Talamen es ansin, lou sabès miés que iéu, que, pèr sauva lou founs que rèsto encaro sus li roco e faire reverdi vòsti colo pelado, lis amenistracioun replanton li fourèst, abouscassisson li mountagno.

E perqué dounc, nautre peréu, farian pas reverdi aquelo lengo prouvençalo qu’esgaiejavo noste pople, e que lou mantenié dins l’amour de sis us, de soun independènci e de sa digneta ?

Li noble, quand gouvernavon, tiravon glòri de sa neissènço, de si grand e rèire-grand, de soun blasoun, de soun passat. E aro que lou pople es devengu lou mèstre, aurié-ti la feblesso de rougi de sa maire, de renega la lengo que ié fai sa noublesso, que porto lou blasoun de soun passat, de soun istòri ? Noun, acò’s pas poussible.

Quand Mirèio pareiguè, i’a deja proun tèms d’acò, en vesènt lou bèu gàubi emé la gaiardiso de nosto parladuro, noste grand e bon mèstre, Lamartine, diguè:

C’est le peuple qui doit sauver le peuple.

Dins aquéu crid, Messiés, i’a tout lou Felibrige. E basto qu’aquéu crid fugue la proufecìo dóu sauvamen de nosto raço!"

 

Traduction : " Ah ! si on savait le mal que l’on fait à la patrie, que l’on fait à la race, en arrachant au peuple, à l’homme de la terre, le lien qui l’attache à sa vieille famille, à ses bonnes coutumes, au pays où il est né !

On se plaint, aujourd’hui, que la campagne soit abandonnée, que les villages se dépeuplent… Et vous, Messieurs, dans ces montagnes escarpées et sauvages, où cependant la France est heureuse de trouver, à l’heure du danger, de vaillants habitants pour garder sa frontière, vous pouvez en savoir quelque chose.

La population s’en va, la jeunesse descend vers la pourriture des villes. Sevrée de sa langue et de la poésie qu’elle dégageait et de cette langueur qui accompagnait ceux de chez vous quittant le pays, que voulez-vous qui la retienne dans ces pauvres villages où meurent les chats ?

Nos pères disaient : " A chaque oiseau, / Son nid est beau " ;

Et ce seul proverbe, ce petit proverbe gardait dans le nid sa population contente. Il suffit de quelques arbres, de quelques touffes de genêts épineux et de buis, pour retenir la rive qu’affouillent les eaux. Et si vous les arrachez ces arbres, ces touffes, au premier orage qui éclate, la rive s’éboule, la prairie s’effondre, la fertilité de la terre est emportée à la Durance.

Il en est tellement ainsi, vous le savez mieux que moi, que, pour sauver le fonds qui reste encore sur les roches et faire reverdir vos collines, dénudées, les administrations replantent les forêts, repeuplent d’arbres les montagnes.

Et pourquoi don, nous aussi, ne ferions-nous pas reverdir cette langue provençale qui égayait notre peuple, et qui le maintenait dans l’amour de ses coutumes, de son indépendance et de sa dignité ?

Les nobles, quand ils gouvernaient, tiraient gloire de leur naissance, de leurs aïeux et de leurs ancêtres, de leur blason, de leur passé. Et maintenant que le peuple est devenu le maître, aurait-il la faiblesse de rougir de sa mère, de renier la langue qui lui fait sa noblesse, qui porte le blason de son passé, de son histoire ? Non, ce n’est pas possible.

Quand Mireille parut, il y a déjà bien longtemps, en voyant la belle tournure et la vigueur de notre parler, notre grand et bon maître Lamartine dit : " C’est le peuple qui doit sauver le peuple ".

Dans ce cri, Messieurs, il y a tout le Félibrige. Et puisse être ce cri, la prophétie du salut de notre race ! "

(Il faut entendre par " race ", terme employé habituellement dans les écrits de Mistral, l’ethnie, la civilisation provençale).

 

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